Photographies donnant sur la voie

Photographies donnant sur la voie

 

Après plusieurs années de prises de vues dans le Trièves (Isère), le long de la voie ferrée Grenoble-Veynes, Bernard Fontanel nous livre un travail hors du temps. Simple spectateur, voyageur, il s'attache à révéler par l'image la beauté rigoureuse et la poésie secrète de cette région. Il témoigne des moments particuliers du travail des hommes et des instants de vie, que chaque voyageur attentif peut voir soudain surgir sous ses yeux.

 

Fiche Technique : 42 photographies 6x6 noir & blanc, format 40x40 cm, cadres 54x58 cm avec passe-partout. 13 textes, cadres 30x30 cm.

 

Ces images sont accompagnées par de courts poèmes de Jean-Louis Jacquier-Roux. Ce sont des formules magiques qui nous guident et nous font ressentir le souffle de vie qui anime encore ce train. Cet écrivain a habité le Trièves;  il est l'auteur d'une quinzaine de recueils et d'ouvrages : nouvelles, poésies et essais.

 

1. Chemin d'enfance.

Le regard fuit sur le luisant des rails.
Les sommets dans le lointain lancent
Un défi pour plus tard.

 

2. Golgotha de tous les dieux, mémorial de la souffrance,
charges de pierre et de bois qui font tituber la voie.
Le voyageur dort d'un oeil sous sa veilleuse.

 

3. Chacun a son trajet en tête.
Il suffit d'attendre le signal pour se mettre en marche :
Traces, souvenirs, désirs, habitudes.
Le convoi connaît la chanson

 

4. Qui reste là dans l'odeur du café
face à la grande aiguille?
Qui, dans la ronde des minutes précédant un pur bonheur?
Le temps souvent se dérange pour rien.

 

5. Affairages secrets. Les outils ont de la paille aux sabots.
Derriere la vitre, un signe parfois rend
les ouvriers du ballast au monde.

 

6. Perdre le nord. Lus, là-haut, lumière du désert, stella cadente
dans le ciel d'hiver au-dessus du village nègre.
La voie, devinette têtue comme une réponse
sur le bout de la langue.

 

7. La pente est douce
haut chemin d'estoc
dans le vif des prairies.

Entre les épis, ce va-et vient usant
peu soucieux des saisons
et cette empreinte sur la terre
d'un corps en son gîte.

 

8. Sur leur portée de calcaire
les arches en belles majuscules
s'obstinent comme un élève appliqué.

 

9. Cargaison de destins qui nous frôlent
au passage. Le coeur est insensible.
On se fait des idées dans un grand souffle d'air :
des fois qu'un bout de vie viendrait
à tomber là.

Dieu est aux manettes.
Tout bruissant d'oiseaux, un arbre roux
le détourne un instant de sa route. 

 

10. La solitude cependant, la contrainte
du dedans. L'une et l'autre déplacent les montagnes.
On voyage à même le seuil sur une chaise bancale.

Le nom des gares, litanie muette que fustige
une loupiote d'oratoire.

 

11. Langue d'ordre. Le train acquiesce en bougonnant.
Sa parade au-dessus du vide
est lourde d'entraves.

Pour combien de temps encore ce rafistolage
transcendé aux marges du monde ?

 

12. L'aiguille a délaissé la meule
mais le fil court toujours entre les doigts
de pierre des ravaudeuses.

Arbres droits, poteaux, traverses, toute
une forêt au garde à vous, la terre souple

sous la main qui la creuse ou l'effleure.

 

13. Eclats de rouille sous la peau.
Le temps ne glisse plus en gouttes de cire
le long des vitres.
Il tourne dans la mémoire oblongue de
Chronos.

 

Jean-Louis Jacquier-Roux

 

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